Alain Médam, le monde se poursuivra sans toi…

Alain Médam, le monde se poursuivra sans toi…

On connaît ce brillant sociologue qui nous avait donné, naguère, une piquante réflexion sur la culture et l’identité juive dans Mondes juifs : l’envers et l’endroit (publié dans la belle collection « La politique éclatée » du regretté Lucien Sfez).

Obsédé par le lieu et l’espace, majeurs dans le destin juif, il revient vers nous avec une très remarquable réflexion de vieil homme : Au soir venant – Vivre avant mourir (éditions Maurice Nadeau, 2019, 132 p., 18€).

Alain MédamQuelle place pour la vieillesse ? Que faire et que dire quand quatre-vingts ans ont passé ? « Le soir venant », il prend sa plume et réfléchit en cette « veille de la nuit la plus longue ». D’où cet ouvrage en 11 chapitres échelonnés des « Naissances » à la « Sortie ». On dit qu’à l’heure de la mort, en ce bref moment du « passage », toute la vie défile en un clignement d’œil. Et justement, dans le grand âge, le seul mot de « vie » prend un sens singulier : « Vivre, écrit-il, ce mot auquel on ne pense pas tous les jours prend une dimension particulière quand mourir, l’autre mot auquel on se refuse de penser tous les jours, se présente à soi avec une certaine persistance ». Et certes, passé un certain seuil, on se dit bien que la vie est comptée. S’il est vrai qu’elle est comptée de toute éternité, c’est pourquoi au soir de Rosh Hachana on souhaite d’être inscrit une année de plus sur le registre comptable de la Divinité, lorsque le temps s’est étiré au-delà de plusieurs décennies, la vie est « plus » comptée qu’avant, comme si les minutes et des secondes se précipitaient à plus grande vitesse. Si pour les enfants le jour est plus long, pour le grand âge le temps passe plus vite. Le « désir de durée », dont parlait Albert Camus, affronte le « destin de mort ». On en est là, et Alain Médam nous donne ici une belle leçon de lucidité, qu’il parle de notre monde en délire, des guerres, de la mondialisation, de l’astrophysique et des arcanes quantiques, tout ce qui échappe à notre compréhension. Mais en plaçant au centre de sa réflexion la « beauté », concept qui se confond avec la « bonté » : à chaque jour de la Création, Hachem souligne Sa satisfaction — « ki-tov » — de voir le bon/le beau s’établir sur terre. Sauf que pour l’homme en sa fragilité, « la beauté de notre vie se cherche elle-même entre ce qui s’efface et ce qui nous retient ». Car tout ce que nous voyons et aimons ne fait que passer : « Nous nous attachons à des fuites », conclut Médam. Tout en percevant la sacralité exclusive de la beauté : « Dieu lui-même, en tant qu’il nous échappe, se tient dans le désir humain de connaître la beauté ». On aura perçu dans cette phrase l’accent de nos prières où, de David à Isaïe, l’on ressasse la beauté — no’am נעם — des Créateur/Création. La musique, la peinture, les lettres et les arts attestent de cette beauté, et l’on se rappellera Einstein, émerveillé par son prodigieux archet, déclarant que Yehudi Menuhin « prouvait l’existence de Dieu ». Et Médam de conclure : « pour cette seule musique, cela aura un sens d’avoir vécu ». Alors oui, la vie vaut la peine, et le sociologue aux jours comptés et au souffle limité, dans une sorte de béné bessamim, cette bénédiction des aromates en fin de Chabbat, et donc au dernier jour, conclut pieusement : « Tu respires. Tous les parfums du monde te pénètrent tandis que ta pensée ne sait plus où déposer sa joie ». « Tout ira bien, ainsi… Tout recommence », ajoute-t-il. Ainsi cette réflexion d’un vieux sage sur le fragile et l’éphémère, sur cette Fugacité de l’existence, titre d’un autre de ses livres, aboutit-elle, par le miracle de la transmission et de l’écriture, au constat d’Éternité.

A.Bensoussan

 

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